Le but de ce blog est de parler de la beauté, de la famille et de la sexualité en prenant appui sur la communauté Guin et Mina. La communauté Guin et Mina a une culture riche de plus de 3,5 siècles mais peu connue. Aujourd'hui, cette communauté n'est visualisée qu'à travers les pratiques sexuelles peu positives d'une minorité de femmes guinnou ou Mina. Ce blog revisite l'organisation sexuelle du peuple Guin et Mina à travers le temps (approche diachronique) afin d'en tirer des inspirations susceptibles de façonner notre mode de vie contemporain. Mot clés : #Beauté, #Sexualité, #Famille, #Guin, #Mina
30 Mars 2020
Le point le plus délicat de mon enquête de terrain porte sur les métiers de sexe auxquels se livreraient les filles/femmes «GƐn»/Mina : faut-il en parler ou le taire ? C'était délicat. Mais une voix intérieure, assez audacieuse, me demandait comment peux-tu faire une recherche sur l'organisation sexuelle tout en évitant les questions qui fâchent ? Non vas-y. Alors j'ai profité de la question de l'autonomisation précoce des jeunes gens pour aborder quelques questions délicates portant le travail de sexe. De quoi vivent les jeunes gens lorsqu'ils/elles se soustraient précocement de la responsabilité de leurs parents ?
Plusieurs enquêtés ont souligné le phénomène d'autonomisation précoce des jeunes gens, les jeunes filles notamment, qui, pour défier leurs parents, se mettent à leur propre compte. Pour survivre les jeunes filles s'adonneraient à des activités d'accès facile (serveuses dans les débits de boisson, servantes dans les ménages, etc.). De telles activités économiques vont parfois de pair avec des activités sexuelles. Ces données font échos à des a priori ou clichés généralement véhiculés sur les femmes Guin/Mina concernant leur penchant pour des métiers ayant rapport avec le sexe. Alors les questions que j'ai voulu creuser ici sont de savoir : a) la dominance des filles «GƐn»/Mina dans les débits de boisson (bars, kiosques, buvettes, etc.), dans les lieux de restauration ou dans les lieux de prostitution un peu partout au Bénin et au Togo concerne-t-elle les filles/femmes originaires d'Agoué ? Si oui quelles explications les enquêtés donnent-ils à cet état de fait ?
Pour certains enquêtés, « [...] la plupart des filles viennent du Togo, ce ne sont pas nos filles, le mina est une langue béninoise, mais c'est aussi une langue togolaise. Ces filles viennent très souvent du Togo par le biais des chauffeurs qui les draguent, et après avoir atteint leur objectif, qui est le sexe, ils les livrent à leur propre sort et elles sont obligées de commencer ce travail [de sexe]. Ici [à Agoué], les enfants filles sont pris en charge jusqu'à l'âge de 12ans, 13ans ou 14ans. De part l'éducation qu'elles ont reçue, nos filles sont timides et hypocrites, elles n'affichent pas à la face du monde qu'elles font ça, elles peuvent utiliser une stratégie pour prendre rendez-vous pour le soir, et c'est la nuit qu'on les voit déambuler. Par contre, les Togolaises ont formalisé l'activité de sexe. Elles s'affichent sans honte. Elles vont même jusqu'à inviter les hommes pour le sexe d'où le nom de ce job ″fofovi wôlawodo vi déá″ »[1] nous confie un enquêté (de 46 ans).
Une autre enquêtée de 23 ans confirme cette version du phénomène social du travail de sexe : « ce sont les filles Togolaises et non les filles d’Agoué, mais comme elles parlent mina, on nous confond, et on nous traite de la même manière, les hommes nous dérangent, parce que nous sommes mina, certains hommes disent que les femmes mina savent faire la cuisine ou l'amour .... ».
D’autres enquêtés vont abonder dans le même sens, mais ils parlent plutôt de filles/femmes Ghanéennes « Quand on dit que les femmes Mina se promènent de buvettes en buvettes, ce sont les femmes Ghanéennes qui font ça, elles viennent les soirs et prennent chacune un client, et déjà à 4h, elles sont reparties. Moi, je suis resté à Parakou, ce sont les filles SOMBA, qui servent dans les buvettes, et elles parlent correctement mina, les filles Fon ne pouvaient pas le faire autrefois, maintenant, elles aussi s'en vont apprendre le mina pour concurrencer les filles Mina, et ce sont elles qui font du désordre dans le métier de servantes, et cela commence par salir les noms des vraies filles Mina » (un enquêté de 60 ans). « Allez faire les enquêtes, vous ne trouverez que des Ghanéennes », ajoute un autre enquêté de 61 ans.
Un autre enquêté relativise le phénomène « Je n'ai pas remarqué cela à Agoué. Moi j'ai une grande fille de 17 ans, les moyens ne peuvent pas manquer pour donner à manger aux enfants, c'est plutôt, les caprices des enfants qui les conduisent à cette dépravation, on suit l'enfant pour son éducation, mais quand l'enfant est au dehors, on ne le contrôle plus, on ne connaît pas les personnes qu'elle fréquente, cela peut aussi entraîner ce comportement de nos filles. [Moi : si vous découvrez un objet de grande valeur sur votre fille, quelle serait votre réaction ?] Est-ce que moi-même j'ai un objet de grande valeur ? Je lui demanderai d'où ça vient ? Tu ne peux même pas ramener quoi que ce soit dans cette maison, tu ne peux même pas ramener un téléphone chez moi, tu veux appeler qui avec ça ? J’ai dit à ma fille qu’elle aura son premier téléphone après le BAC. Nos enfants ne peuvent même pas chercher à cacher des objets chez des amis, nos enfants ont été bien éduqués à cet effet, si jamais l’un d'eux essaie, on va le ligoter et le taper correctement, si ça nous dépasse, on fait appel à la gendarmerie. [Moi : et si malgré tout l'effort qui est fait pour l’éducation de votre fille, elle fait à sa tête et quitte la maison, et plus tard vous apprenez qu'elle travaille dans une buvette. Quelle serait votre réaction ?] Je ne serai pas content et j'irai la chercher, de force s’il le faut. Travailler dans une buvette n'est pas un bon job, ça ne mérite pas d'être encouragé, sinon c'est pire que ça elle ira faire demain » (un enquêté de 65 ans).
Comme on peut le constater, les enquêtés de cette catégorie citent des filles d’autres origines ethniques ou les Mina du Togo et du Ghana comme travailleuses de sexe, et non les «GƐn»/Mina d’Agoué. Mais, lorsqu’on lit attentivement leur discours, on finit par se rendre compte qu’ils reconnaissent l’existence du phénomène en filigrane. Ainsi, certains se justifient en disant les filles «GƐn» et Mina d’Agoué sont plus hypocrites et se livrent discrètement à ce métier la nuit, d’autres parents disent qu’ils ne maîtrisent pas ce que font leurs filles une fois hors de leur regard. La pilule du métier de sexe semble avoir ici du mal à passer.
[1] On peut traduire cette expression par : « chéri, désires-tu le sexe ? »
Un autre enquêté de 60 ans nous dit ceci :
«C’est à partir du moment où les filles s’autonomisent qu’elles se livrent, dans le même temps, à ces activités économiques de facilité [...] ».
Travailler dans les buvettes est une voie de facilités et de débauche, tel est ce qui ressort avec force des extraits d’entretiens du second groupe d'enquêtés.
Une aînée de 80 ans, citée dans les précédents articles, dit ceci : « le pire est que les filles s’autonomisent précocement. Très tôt, elles prennent leur indépendance et abandonnent le domicile de leurs parents pour se mettre à part. Dans un tel cas de figure, les parents ignorent souvent quelle vie mènent leurs filles. De temps en temps, ces filles rendent visite à leurs parents avec quelques présents (cadeaux). Ceux-ci, quand bien même ignorant la provenance de ces cadeaux, les prennent et ne cherchent pas à savoir d'où ou de qui cela vient.
Il y a, certes, la réalité des grandes villes [tournées vers la modernité] avec un mimétisme avancé, le cas d’Aného qui s’apparente à la situation des grandes villes, mais ce que je déplore est que la particularité légendaire de la ville d’Agoué qui jusqu’à une période récente se comportait comme une ville civilisée située entre l’océan et le fleuve semble disparaître. Oui, ce mythe dont on se vantait à Agoué a disparu aujourd’hui. Ou bien ai-je menti ? [Lança-t-elle, visiblement déçue, en tournant le regard vers les guides qui m’accompagnaient]. « Non, pas du tout, vous ne mentez pas » [lui répondent presque simultanément les deux guides].
[Moi : quel lien faites-vous, grand maman, entre ce déclin de l’éducation et la rumeur de mœurs légères qui circulent à propos des filles «GƐn»/Mina ?] Ce que les gens racontent par rapport aux mœurs des jeunes filles aujourd’hui n’est pas faux. Lorsque les filles prennent précocement leur indépendance vis-à-vis des parents, les activités principales dans lesquelles elles se lancent pour gagner rapidement de l’argent sont : le travail dans les bars et débits de boissons ; le travail de sexe, etc. [...]. Les jeunes filles d’aujourd’hui ne veulent plus se peiner avant de gagner leur vie ».
Tour à tour, d’autres enquêtés ont abondé dans le même sens :
[Moi : on entend dire que les jeunes filles, à la nuit tombée, se promènent, bien habillées, en quête d’hommes, qu’en dites-vous ?] «Oui bien sûr, surtout à ayelecomé [un quartier de la ville], on en voit de trop, et il y a assez d'élèves qui font ce job aussi, tu les vois même s'embrasser devant les grandes personnes sans aucun respect. Ce n'est pas une fuite de responsabilité des parents ; le fait est que les parents ne peuvent pas les suivre partout, une fois en ville, et encore avec les téléphones portables, on assiste à du n'importe quoi dans la ville d’Agoué aujourd’hui, les rendez-vous se donnent pas ce biais, le monde est foutu, ce n'est pas seulement à Agoué ici, même dans les grandes villes, on assiste à cela, dans le futur ce sera encore pire, il faut prier pour nos petits fils/filles, malgré les sensibilisations des ONG, elles s'en moquent, leurs problèmes, c’est l'argent » (Un aîné, de 75 ans).
« Ce n'est pas qu'on entend, mais plutôt on voit ça, ce n'est pas une rumeur, malheureusement c'est une vérité, cela se passe sous nos yeux [...]» (Un jeune enquêté de 20 ans).
« […] des fois, parce que les clients se font rares, elles décident d'aller à Cotonou, histoire de se faire de l'argent et c'est comme ça qu’elles rentrent dans le métier [de sexe], il y a certaines qui sont revenues, après des années dans le métier, elles sont fanées, elles ne plaisent même plus aux garçons du village, car elles n'ont pas un bon passé, vous voyez, ici c'est un village, mais c'est plus qu’une ville. Il y a à peine quelques semaines, on a géré une situation entre une fille de 12 ans et un homme de 45 ans, c'est triste mais c'est la réalité. [...] » (Un aîné de 65 ans).
« Je ne peux pas dire le contraire concernant la pratique du métier de sexe par les femmes «GƐn» en Afrique notamment, même ailleurs en Europe et en Amérique etc., simplement parce que c'est un métier comme tout autre et exercé dans le monde entier... Mais pourquoi indexe-t-on les femmes «GƐn» seulement ? », écrit un internaute de 65 ans sur Facebook, le 24 juin 2018.
Certains parents sont conscients de ce phénomène de travail de sexe. L’un des parents approchés dit ceci : « si je n'ai plus les moyens, et elle me donne à manger avec ça, je ne dis donc rien, même si les gens critiquent, j'accepte, je n'ai pas d'autres choix ».
Il faut insister ici sur le fait que ma recherche est qualitative. Elle ne peut donc pas être généralisée à toutes les filles/femmes Guin/Mina ; de même, toutes les catégories sociales (les élites, les femmes de niveau de vie modeste ou élevé, les femmes Guin/Mina émigrées, etc.) n'ont pas été touchées. Mon enquête a concerné des élèves et apprentis ou des jeunes gens non instruits ; des adultes en couple ou célibataires ; et des personnes âgées et des notables en nombre limité, mais surtout, résidant sur l'aire culturelle Guin/Mina (Agoué/Aneho). |
Ce qui ressort fortement de cette catégorisation dichotomique présentée ci-dessus, est que le contrôle de l'attitude sexuelle des jeunes gens échappe de plus en plus aux parents. Certains parents acceptent difficilement cette réalité moderne, et s'enferment dans le déni, d'autres parents font avec cette réalité et émettent, à leur niveau, des règles permettant tant soi peu d'encadrer la vie sexuelle de leurs enfants (les filles notamment). C'est pour dire qu'on semble, de plus en plus, s'éloigner, au sein de la communauté «GƐn»/Mina, de la belle époque où la vie sexuelle était régulée par des normes sociales connues et partagées de tous.