Le but de ce blog est de parler de la beauté, de la famille et de la sexualité en prenant appui sur la communauté Guin et Mina. La communauté Guin et Mina a une culture riche de plus de 3,5 siècles mais peu connue. Aujourd'hui, cette communauté n'est visualisée qu'à travers les pratiques sexuelles peu positives d'une minorité de femmes guinnou ou Mina. Ce blog revisite l'organisation sexuelle du peuple Guin et Mina à travers le temps (approche diachronique) afin d'en tirer des inspirations susceptibles de façonner notre mode de vie contemporain. Mot clés : #Beauté, #Sexualité, #Famille, #Guin, #Mina
5 Avril 2020
"Les femmes «GƐn» sont irrésistibles", dit l'un de mes enquêtés. C’est ici la matière la plus abondante des données collectées lors de l’enquête de terrain : la beauté des femmes «GƐn»/Mina est proclamée presqu’à l’unanimité par les enquêtés. Si le verrou du mythe relatif aux valeurs éducatives est en train de sauter, celui du mythe concernant la beauté de la femme «GƐn» et Mina reste bien scellé et entier.
La beauté de la femme «GƐn»/Mina n’est pas seulement dans le regard, elle est aussi dans le savoir-être : une tendresse et une douceur légendaires sans égards inculquées depuis les tendres âges au point de paraître naturelles. La beauté et le sensuel sont, par nature, incorporés à la culture «GƐn»/Mina et sont, avant tout, féminins.
Qu’elles soient déesses, parées de perles, d’or, d’argent, ou simplement habillées, les femmes «GƐn» et Mina ont un rapport particulier au corps, au physique et au visuel. Elles ont du plaisir à se faire belles, et ce, à tout âge : adolescentes, jeunes filles, jeunes dames, femmes âgées ; chez les «GƐn» et Mina, il n’y a pas de vieillesse : « gnagan moulé é guin ȯ ». Le sensuel accompagne les femmes à la tombe, exception faite des états de faiblesse corporelle (comme les moments de maladie : et même là encore, un soin particulier est donné au corps par les garde-malades, le malade est bien entretenu, lavé, parfumé et surtout poudré).
Marjorie Shostak disait, à propos des !Kung, que « Chaque femme a la possibilité de se rendre plus attirante : elle enfile simplement ses meilleurs vêtements […], après s’être lavée, avoir huilé son visage et son corps et appliqué le maquillage fabriqué à partir de plantes sauvages. À part les malades, les ″trop maigres″ ou les très vieilles, la plupart des femmes se jugent attirantes. […] Quant à attirer un mari et l’épouser, cet objectif est atteint par toutes les femmes !Kung sans exception » (in Laurent, 2010, emplacement 100)[1].
Ces termes décrivent autant les femmes «GƐn» et Mina de façon générale. Elles se rendent attirantes, jeunes filles et femmes âgées, et ce, depuis des centenaires : la pratique du maquillage chez les «GƐn» et les Mina remonte aux origines de leur existence, l’attirance fait corps à la sensualité et celle-ci fait corps à la culture «GƐn» et Mina.
[1] Version kindle de l’ouvrage « Beauté imaginaire » de Pierre-Joseph Laurent (2010).
Sortir de chez soi sans se maquiller est quasiment exceptionnel chez une femme «GƐn»/Mina ; ceci du fait que la pratique du maquillage représente chez elle une « habitude » (au sens de Jean-Claude Kaufman) et non un « habitus » (au sens de Pierre Bourdieu). Je ne sais pas trop s’il est nécessaire de ramener ici la controverse que développe Jean-Claude Kaufman à propos de l’utilisation de l’un plutôt que de l’autre des deux concepts (habitude ou habitus).
En effet, dans son ouvrage intitulé « Ego. Pour une sociologie de l'individu. Une autre vision de l'homme et de la construction du sujet », publié en 2001, Jean-Claude Kaufman évoque qu’il préfère le terme « habitude » à celui d’« habitus » utilisé par Bourdieu. Tout en se réjouissant de la réhabilitation dans la version latine du terme (habitus) par Bourdieu, Kaufman déplore cependant que celui-ci ait fait de « l'habitus un mécanisme totalisant, générateur des pratiques, qui ne permet pas de bien comprendre les marges de choix individuel. [Or, dit Kaufman] si cette analyse peut être adaptée aux sociétés traditionnelles, elle ne rend pas compte de la dynamique de la réflexivité et de la multiplicité des dispositions qui caractérisent les sociétés contemporaines. D'où la proposition de revenir au terme d'habitude » (Loriol, 2001, p.760). Ce "motif" de contestation qu'évoque Kaufman concernant les sociétés occidentales, vaut également pour les sociétés africaines, car, celles-ci sont également en pleine mutation, surtout lorsqu'il est question des jeunes générations qui bousculent fortement la place de la tradition pour s’offrir des marges de liberté, parfois très importantes. Ce constat n’est pas fait que sur mon terrain (l'aire culturelle Guin et Mina). Avant moi, d’autres aînés Anthropologues l’ont observé ailleurs comme au Burkina Faso (Laurent, 2012 ; Mazzocchetti, 2012) ; au Cap-Vert, en Gambie (Laurent, 2010).
L’option de « habitudes » comme concept permet de « dépasser les oppositions matériel/idéel, objectif/subjectif, collectif/individuel, déterminisme/liberté », énonce Kauffman (2001, p.105). Les habitudes représentent l'ensemble des schèmes (manières de penser et d’agir) plus ou moins profondément incorporés qui régulent l'action. Elles ne doivent pas être considérées comme de simples répétitions, car elles laissent une place à l'invention (Loriol, 2001, p.761). Pour Jean-Claude Kaufmann, l'intériorisation des schèmes de pensée est en fait une extériorisation. L'extériorisation-objectivation est fondamentale dans l'élaboration de l'individu même si l'idéologie egocéphalocentrée empêche d'en apprécier la force structurante, rend compte Maillochon (2004, p.1000). Ainsi, expliqué en passant, chez la femme «GƐn»/Mina, se maquiller est une habitude incorporée, intériorisée comme une seconde nature parce que cette pratique fait partie intégrante du processus de socialisation sans toutefois paraître comme un simple acte répétitif, un simple rituel. Cette pratique a du sens pour toute femme Guinnou. Voici en illustration quelques photos de jeunes femmes togolaises avant et après le maquillage (source : https://www.facebook.com/coachhamondchic/videos/669823253847899/UzpfSTEwMDAwOTEzOTgwMjI4NToyNDYzNjc0NDIwNjEzO DYx/?id=100009139802285).
« On ne nait pas femme [chez les «GƐn» et Mina], on le devient » (De Beauvoir, 1949) et pour devenir une femme chic et propre, ou du moins correspondant aux normes requises dans la communauté «GƐn»/Mina, cela devait faire partie du processus de socialisation ou plus précisément le processus de construction de la féminité (Octobre, 2010/2). Nous sommes face à ce que Heine (2011a) a appelé le « mythe de la beauté » concernant les sociétés occidentales mais qui vaut également pour la communauté «GƐn»/Mina, celle-là même qui revendique d’avoir eu le premier contact avec les Blancs, et donc la première civilisation des « Blancs ». Ouidah au Bénin fait la même revendication, la zone côtière du Sénégal également. J’ignore entre l’œuf et la poule qui est la première, encore que dans le contexte présent, j’ignore encore plus qui est l’œuf et qui est la poule (soit dit en passant).
Agoué a davantage pris les traits singuliers de la bourgeoisie comme dans les autres localités sur l’aire culturelle «GƐn»/Mina et est beaucoup plus tiré par Lomé que par Cotonou. Odile Goerg (1999, p.285) écrivait ceci à propos du mode de vie à Lomé :
Agoué est la terre natale des Olympio, des Lawson, des Jonhson, des Akuéson, etc. Si le premier nom est afro-brésilien, les autres noms sont les preuves vivantes du contact des Guinnou avec les Britanniques. Les noms se terminant par « son » seraient la marque des fils «GƐn» adoptés par les Britanniques. De l’aristocratie britannique à la dynastie royale chez les «GƐn», les traits royaux ou princiers s’acquièrent au moyen de la socialisation (certains parlent de "dressage"). Les filles particulièrement doivent acquérir certains traits de féminité quasi-obligatoires : la politesse, la tendresse, la douceur et surtout la propreté et l’élégance. Les pratiques culturelles typiques des «GƐn» en rajoutent à ces traits féminins intrinsèques, tel que cela s’observe dans la démarche des adeptes des divinités «GƐn».
De la coiffure (sur la tête) au vernis sur les ongles, tout doit être soigné, harmonieux et les perles chèrement acquises en rajoutent à cette beauté singulière des femmes «GƐn» et Mina.
Le « mythe de la beauté », galopant partout en Afrique, avec la diffusion des images importées, était déjà de mise sur l’aire culturelle «GƐn»/Mina depuis des siècles. Ceci se fonde sur le postulat que « la valeur intrinsèque des femmes réside avant tout dans leur beauté » à telle enseigne que les exigences qui découlent de cet idéal s’accroissent au point d’en devenir quasi inaccessibles (Mazzocchetti, 2017, communication orale) à bien des couches de la société surtout dans un contexte, de plus en plus, marqué par la rareté des ressources financières comme c’est le cas à Agoué de nos jours.
Prenant pour contexte d’analyse les sociétés occidentales, Löwy (2006) évoquait que le consensus autour des normes de la féminité profite pleinement, non pas aux femmes, mais à l’industrie de la beauté. Les marketings et les publicités ont bien compris tout le parti qu’il y avait à tirer de l’image de la femme libérée. Libre, de consommer, parce qu’elle le vaut bien.
Les femmes occidentales sont donc libres, certes, mais aussi soumises à des normes de féminité qu’elles ont intériorisées. Et ces normes participent à ériger une société de consommation (Löwy ; 2006 ; Mazzocchetti, 2017). Ces auteures soulignent qu’il en résulte forcément des tensions, une sorte d’ambivalence, où l’on a d’un côté, ceux qui s’y soumettent et se laissent aller au consumérisme, et de l’autre côté, ceux qui y résistent encore.
Ces analyses retracent à dessin le rapport des femmes «GƐn»/Mina à la beauté, elles se laissent emporter par la mise en valeur de leur corps, de leur image et personne (aucune femme) malheureusement n’y résiste, jeune fille comme femme âgée. Ce qui change, c’est qu’autrefois, la femme «GƐn» était dynamique et fort douée en activités génératrices de revenus ; se faisant, elle était fière, sinon jalouse et orgueilleuse, de son autonomie financière. Aujourd’hui, bien des jeunes filles veulent garder les mêmes habitudes en matière de beauté mais ne sont plus autant vaillantes que leurs aînées sur le plan économique.
Le but du maquillage est de corriger les imperfections et son utilité est de permettre à la personne maquillée de se sentir bien dans sa peau, « moins complexée », avant qu’arrive, de façon spécifique, l’objectif de séduire.
Se maquiller, ça « change » la présentation visuelle de la femme, et c’est ce que souligne également Beausoleil (2000, pp.232-256). Pour l’auteure, le but du maquillage est d’opérer une transformation du visage voire du corps. Une transformation précaire qui, pour tenir sa fonction magique et artistique, doit se renouveler chaque jour. Le maquillage, certes investit les femmes d’une certaine fierté et assurance, mais il n’en demeure pas moins une activité contraignante. Là se pose toute la question par rapport au volet « temps » de l’activité du maquillage. Comment, les femmes surtout celles qui travaillent y arrivent-elles chaque jour ?
Aussi, le maquillage doit-il être adapté à chaque lieu (Beausoleil, 2000). Mais, il y a un paradoxe qui revient souvent dans les vidéos de make up qui indiquent que « pour paraître naturel, le maquillage doit prendre tel ou tel aspect ou l’on doit utiliser tel ou tel produit pour le faire ». Se posent alors les questions de savoir : Comment être « naturel » lorsqu’on ajoute des artifices à la beauté à l’état « naturel » ? À quoi s’oppose le terme « naturel » dans un tel cas de figure ? Je ne m’y attarderai pas évidemment.
La question la plus utile qui se pose ici est relative à la nécessité de se maquiller pour les jeunes collégiennes lorsqu’on sait que « se maquiller, c’est se rendre belle [pour la femme bien sûr] » alors que la « beauté » comporte un pan de « séduction ». Cette question cache, en fond de toile, la préoccupation de la compatibilité entre "se maquiller" (activité consommatrice de temps et susceptible de provoquer des conséquences fâcheuses liées à la séduction) et les études (activité nécessitant du temps et de la concentration). Peut-on se permettre ici de faire un lien entre le fait de se maquiller (se rendre belle et séduire) et la consommation précoce de l'acte sexuel chez les jeunes filles Guin/Mina. Autrement dit, l'art de séduire des jeunes filles «GƐn» et Mina a-t-il quelque chose à voir avec la précocité de la consommation de l'acte sexuel chez celles-ci (une moyenne d'âge de 13 ans pour le passage à l'acte révélée dans les précédents articles) ?