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Beauté-famille-sexualité

Le but de ce blog est de parler de la beauté, de la famille et de la sexualité en prenant appui sur la communauté Guin et Mina. La communauté Guin et Mina a une culture riche de plus de 3,5 siècles mais peu connue. Aujourd'hui, cette communauté n'est visualisée qu'à travers les pratiques sexuelles peu positives d'une minorité de femmes guinnou ou Mina. Ce blog revisite l'organisation sexuelle du peuple Guin et Mina à travers le temps (approche diachronique) afin d'en tirer des inspirations susceptibles de façonner notre mode de vie contemporain. Mot clés : #Beauté, #Sexualité, #Famille, #Guin, #Mina

Les influences de la modernité sur l'organisation sexuelle chez les Guin et Mina, volet6

F- La prolifération des unions libres (suite et fin) :  la régulation de l'alliance, l'ancien ordre versus le nouvel ordre.

« Par le passé, avant de se marier, on fait une enquête sur la future épouse, sur sa famille, pour voir si c'est une bonne famille, et c'est après ça qu’on décide d'aller voir les parents de la fille. Aujourd'hui, tu peux sortir dans la rue et dire à une fille "tu me plais, je veux t'épouser", et si elle accepte, elle peut, en même temps, prendre son sac pour te rejoindre, sans que tu connaisse préalablement les parents de la femme, ce qui entraîne plus tard des problèmes. La faim aussi pousse les femmes à aller chercher de l'aide chez les hommes riches, et des fois, elles se livrent à eux », dit un aîné de 60 ans. Un autre aîné de 65 ans complète cette affiche : « Le manque de moyens financiers, et la précipitation d'aller au mariage entraînent très souvent les problèmes d'infidélité et de séparation des couples. Par le passé, la femme étudie ou apprend un métier avant de se lancer dans le mariage, de nos jours ce n'est plus ça ». Les femmes qui prennent pour époux des hommes rencontrés dans les lieux « à facilités sexuelles » font carrière dans la vie conjugale du fait de la répétition amoureuse, semblent dire ces enquêtés.

 

Un autre enquêté renchérit : « ce qui justifie la répétition amoureuse de certaines filles Mina/»GƐn» [est que] le point de départ de l’entrée en union est généralement faussé. Les rencontres amoureuses se font dans ces lieux de facilités sexuelles. Ceci fait que les hommes n’ont pas d’égard pour elles de façon durable. […]. Même si les hommes semblaient les aimer au départ, du moment où elles n’ont pas le soutien de leur famille ou la bénédiction de leur alliance par leurs parents, les hommes finissent par abuser d’elles, par leur manquer de respect et par les abandonner, au bout de quelque temps. Il s’agit généralement des unions libres qui finissent par s’effondrer comme des châteaux de sable » (un enquêté de 40 ans). Les «GƐn»/Mina emploient souvent l’expression suivante pour désigner une telle situation : « aléké égbo a koudô a éyé ô dja nin dô » (entendu « tel que le cabri décède, c’est ainsi qu’on le dépèce). C’est pour dire que, abstraction faite de tout sentiment amoureux sincère, le statut initial des femmes rencontrées sur les lieux "à facilités sexuelles" finit toujours par les rattraper, tôt au tard, dans leur vie de couple.

 

En effet, au cours de mon enquête de terrain, les aîné(e)s ont abondamment mis l’accent sur l’autonomisation précoce des jeunes gens, les jeunes filles notamment, suivie des activités sexuelles et pointent du doigt la défaillance de l’autorité parentale et/ou la quête de gains faciles par les jeunes comme facteurs explicatifs de tels phénomènes sociaux. Ce que les aîné(e)s déplorent surtout, et ce, en toute impuissance, est la mise en couple des jeunes gens en dehors de toutes procédures normatives requises en matière d’alliance. Les aîné.es déplorent le fait que les jeunes construisent, de plus en plus, une vie conjugale qui s’effrite comme « un château de sable ».

 

Le phénomène que les aîné.es expliquent est ceci : certaines jeunes filles, qui se soustraient de l’autorité parentale, se livrent pendant un temps à des activités de serveuses dans les débits de boisson ou les restaurants. Dans ces lieux, elles mettent en avant leurs atouts de féminité pour attirer des hommes, après un temps donné, se mettent en couple avec ces hommes sans faire des démarches minimales en vue de la présentation, tout au moins, de ces hommes à leurs parents (la connaissance des parents). Ce sont ces formes d’union conjugale que je désigne ici sous le terme d’« union libre », celle-là qui n’est soumise à aucune des étapes d'entrer en alliance décrites dans l'un des précédents articles.

Les influences de la modernité sur l'organisation sexuelle chez les Guin et Mina, volet6

1) Les caractéristiques des femmes concernées

 

Quelles sont les catégories de femmes concernées par ce phénomène ?

 

Ce sont généralement : a) des jeunes filles ou jeunes dames non ou très peu instruites. Elles ont précocement quitté l’école et l’autorité parentale (s'autonomisent) et se lancent dans la vie active alors qu'elles n'ont appris aucun métier professionnel (ou n'ont pas achevé leur apprentissage), et parfois même, elles ne maîtrisent pas les rouages des activités génératrices de revenus ou renoncent d'exercer ces activités par choix. Elles sont une petite minorité au sein de la communauté «GƐn»/Mina de l'intérieur et de l'extérieur. Ces catégories de femmes, qui se trouvent aux antipodes de la tradition et des valeurs des «GƐn»/Mina en matière d’éducation d'autrefois, indignent sérieusement les aîné(e)s, car cette minorité de filles jette l’opprobre sur toute la communauté, disent-ils.

 

b) Il y a aussi certaines élèves-filles. Elles vivent encore avec leurs parents, généralement dans une famille monoparentale (maman seule ou papa seul). Leurs parents n’ont plus, dans la plupart des cas, d’autorité sur elles (la question de la défaillance parentale se pose ici avec acuité) ou encore elles se sont retirées de la maison de leurs parents pour s’installer seules. Tout en poursuivant leurs études, elles se font entretenir par un ou des hommes, généralement des adultes d'un écart d'âge important (se situant entre 10 et 40 ans) par rapport à l'âge de ces jeunes filles (elles ont entre 12 et 23 ans).

 

c) Il y a une dernière catégorie : les femmes matures célibataires qui avaient déjà précédemment vécu dans une ou des relations conjugales (avec ou sans enfants), celles-là même qui se trouvent dans une répétition amoureuse (Vaillant et Carquain, 2010) ou dans une carrière conjugale (Laurent, 2010).

 

Comme l’on peut le constater, mon enquête n’a pas inclus les femmes hautement instruites, des universitaires, des élites, les grandes commerçantes (dans la plupart du temps, les femmes «GƐn»/Mina de la noblesse font carrière dans le commerce). Tout simplement parce que ces catégories de femmes, exclues de l'enquête, résident rarement sur le territoire d’Agoué : elles y viennent en vacances ou en visites ponctuelles. Signalons rapidement que Agoué est un petit espace territorial démuni de vies économiques de grandes capacités (dans les secteurs tant primaire, secondaire que tertiaire) ; donc, certaines catégories de natifs n’y résident pas pendant qu’ils sont pendant qu'ils sont encore dans leur vie active. Ils pourraient s'y installer pendant leur période de pension ou de retraite. Aussi, ces catégories de femmes de classe moyenne et de « haute » classe sociale ne sont-elles pas dans les métiers de survie (serveuses dans les débits de boisson, actives dans les petits commerces, les métiers de sexe, etc.). Certes, elles peuvent aussi connaître une répétition amoureuse mais pour bien d’autres raisons qui restent à clarifier.

Les influences de la modernité sur l'organisation sexuelle chez les Guin et Mina, volet6

2) Une analyse causale du phénomène d'unions libres

 

Pourquoi les femmes en sont-elles arrivées à une situation d’union(s) libre(s) ?

 

Il peut s’agir d’une unique ou de plusieurs expériences d'unions libres (les cas de répétition amoureuse). Il faut dire que plusieurs facteurs explicatifs pourraient justifier cet état de fait. Entrons dans le débat sous l’angle de ce que Mazzocchetti et Laurent (2012) ont appelé « un faire société » caractérisé par « des rapports sociaux de défiance ». Il y a de nombreuses décennies déjà que les jeunes gens de la communauté «GƐn»/Mina jouent à la carte de la défiance, à la fois, vis-à-vis de la famille nucléaire (soustraction à l’autorité parentale par la fugue vers les villes environnantes : Lomé, Accra, Cotonou, Lagos-, etc. ; par l’autonomisation précoce en s’installant hors de la maison familiale mais en restant sur le même espace culturel : Agoué, Aneho, etc.) et vis-à-vis de toute la communauté «GƐn»/Mina (soustraction au contrôle social général).

 

Un tel constat n’est pas récent. Thiriat (1999) dans une enquête menée entre 1988 et 1992 à l’échelle du continent africain, fit le constat déjà à l’époque de la prise de distance par certaines femmes par rapport à certaines règles communautaires, coutumières ou religieuses, qui régulent l’institution du mariage en privilégiant l’union consensuelle et libre à l’union encadrée (voir l’état situationnel dans le tableau ci-après).

Tableau n°5 : Les proportions (%) de femmes en union consensuelle parmi l’ensemble des femmes en union (mariage et cohabitation), âgée de 15-49 ans

Source : Tableau conçu sur la base des données EDS 1988-1992 (Thiriat, 1999, p. 98).

Source : Tableau conçu sur la base des données EDS 1988-1992 (Thiriat, 1999, p. 98).

Dans le tableau ci-dessus, la situation proche de mon terrain est celle du Togo, car, comme je l’avais déjà évoqué plus haut, les «GƐn»/Mina sont plus attirés par le Togo que par le Bénin, au regard de leur culture ; bien qu’administrativement parlant, une partie du territoire culturel «GƐn»/Mina soit localisée au Bénin. Ainsi donc, 24,6% des femmes en union de cette époque-là (fin des années 1980) avaient le choix d'une union libre. Les données de ce tableau confirment également une observation capitale sur mon terrain : les femmes concernées par l’enquête sont peu ou non instruites. Ce sont pourtant elles qui défient les règles sociales.

La question que l'on pourrait se poser ici reste de savoir si déjà des femmes peu ou non instruites défient les règles communautaires en matière d'alliance, qu'en serait-il des femmes hautement qualifiées, autonomes, qui ont tendance à prendre du recul vis-à-vis de la tradition, surtout, de ses contraintes ?

L'on peut ici se permettre de déduire que l'alliance en tant qu'institution sociale est, de plus en plus, compromise par la possibilité pour les femmes aujourd'hui de faire des choix : le libre choix de "avec qui vivre" ; le libre choix de se retirer de la vie conjugale quand les conditions de bien-être ne sont plus réunies, le libre choix de se reconstruire dans une nouvelle union, etc. Certes, dans de nombreuses sociétés encore en Afrique les regards sociaux sur les femmes célibataires, séparées ou divorcées, restent très pesants. L'on ne peut cependant pas faire abstraction de la réalité que nos sociétés en Afrique, que ce soit la communauté «GƐn»/Mina ou ailleurs, de profondes mutations s'opèrent, un nouvel ordre s'institue de gré ou de force, et ce, en contact avec d'autres cultures qui nous influencent et qu'on influence également. Les peuples s'inter-influencent aujourd'hui, et ça, l'on ne peut l'ignorer.

Cette analyse se renforce par les données ci-après.

Tableau n°6 : L’évolution des instigateurs de l’union au fil des années au Togo (1988)

Source : Tableau conçu sur la base des données EDS 1988-1992 (Thiriat, 1999, p. 99).

Source : Tableau conçu sur la base des données EDS 1988-1992 (Thiriat, 1999, p. 99).

Lorsqu’on observe les trois variables du tableau ci-dessus : l’union conclue sur l’initiative de la famille seule ou celle de la femme avec l’implication de sa famille, l’on se rend compte que l’option des "conjoints imposés" par la famille a commencer à s’affaiblir progressivement au fil des années pour laisser une grande place aux jeunes filles de choisir librement leurs conjoints surtout en ville, l’avis de la famille continue, jusque vers la fin des années 1980, d'être requis dans les trois quarts de situations. À l’époque, se marier sans le consentement de ses parents était mal perçu par la société : il planerait sur de telles unions une présomption d’échec, sinon, tout au moins, les filles se mettaient dans une situation de rupture avec la famille d'origine ; ce qui implique, pour elles, des difficultés de recourir à celle-ci en cas de conflits conjugaux, en un mot elles étaient livrées à elles-mêmes sans le précieux soutien de leur famille dans leur nouveau statut social. Malgré ces risques, au moins 16 % de femmes en milieu urbain et 15% en milieu rural s’engageaient dans une vie conjugale sans la moindre implication de leur famille. L’on peut se faire une idée de l’ampleur de cette situation trente années plus tard lors de mon enquête de terrain.

3) Le monde dual des jeunes gens

 

Le processus de changement social lié à la « modernisation » apparaît ici comme le facteur essentiel de l’évolution des normes et de l’adoption de nouveaux comportements sexuels (Thiriat, op. cit, p. 95) ; une évolution qui est accentuée par l’urbanisation, l’allongement de la scolarisation (chez les filles aussi), l’apprentissage d’un métier, et surtout la crise économique (Ibidem). Cette situation va de pair avec un contrôle plus diffus sur les jeunes et l’acquisition d’une certaine autonomie par rapport à la famille au cours d’une période prénuptiale. Le passage s’est opéré d’une « sexualité socialisée, contrôlée par le groupe social, à une sexualité individualisée », souligne l’auteure (Ibidem). Cette analyse rend bien compte de la situation observée sur mon terrain, mais également sur bien d'autres terrains car, des observations antérieures, faites dans divers pays, confirment cet état de fait.

 

En effet, dans son article intitulé « Chacun dans son chacun : Trace sa route en modernité insécurisée et modernité mirage », contribution à l’ouvrage « Modernité insécurisée », publié en 2012, Jacinthe Mazzocchetti dit, à propos des étudiants de l’Université Ouagadougou (au Burkina Faso où elle fit son terrain), que l’univers de ces jeunes gens est fait « d’injonctions multiples et souvent antagonistes » (Ibidem, p. 399). Autrement dit, « une pluralité de normes » gouverne la vie de ces jeunes gens aujourd'hui. L’auteure entend ici par « pluralité de normes », un « empilement et [une] coexistence, plus ou moins pacifique, de sources variées de légitimité : traditionnelles, néo-traditionnelles, patrimoniales, charismatiques, bureaucratiques, clientélistes, militantes, démocratiques, etc. » (Ibidem)[1].

 

Ainsi, que ce se soit les « relations familiales ou des constructions identitaires, [dit-elle], [ces jeunes gens] étaient particulièrement touchés par la difficile mise en cohérence de la pluralité des normes transmises et par les exigences de chacun de ces normes » (Ibidem, pp.399-400). Des référents multiples qui balancent les jeunes gens dans une sorte de mirage qui les fait naviguer entre le monde des imaginaires (argent, pouvoir, vie luxueuse, etc. comme horizons à atteindre) et le monde réel finalement frustrant parce que fait de normes auxquelles les jeunes gens ne s’identifient plus intégralement.

Les influences de la modernité sur l'organisation sexuelle chez les Guin et Mina, volet6

Je comprends pourquoi l’auteure utilise le concept de « modernité insécurisée » pour qualifier une telle vie duale : les jeunes gens pris par les tripes d’opérer une rupture avec l’ancien ordre (la tradition) ne parviennent pas, non plus, à poser pleinement les pieds dans le nouvel ordre (la modernité) dont le chemin d’accès est jalonné d’incertitudes et de difficultés de tous genres.

 

En réalité, ce concept de « modernité insécurisé » fut utilisé pour la première fois par l’anthropologue Pierre-Joseph Laurent qui, lors de son terrain entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, où il fut témoin de la transformation progressive de la vie sociale dans un petit village nommé Kulkinka et de l’urbanisation galopante d’une ville nommée Zinaré (tous deux au Burkina Faso). La vie des populations de la zone urbaine tiraillée entre la ruralité (avec ses normes coutumières) et l’urbanité (avec ses nouvelles autres références tournées des normes extérieures) conduisit cet anthropologue à utiliser le concept de « modernité insécurisée » pour désigner ce contexte de « l’entre-deux-mondes » fait « d’atermoiements et de souffrances » ; contexte sur lequel il est revenu plusieurs fois dans ses différents ouvrages (2003 ; 2009 ; 2010 ; 2012).

 

Ce que l’auteur veut particulièrement mettre en lumière, est la situation ambivalente portée par un tel contexte où « les individus, en raison de leur désir de s’émanciper des règles qui régissent la vie en commun dans la société coutumière, voudraient désormais s’éloigner pour vivre de manière autonome » ; alors que, dans le même temps, les liens sociaux (familiaux et communautaires) demeurent, encore pour un grand nombre de personnes, la garantie d’une plus grande sécurité sociale et économique, l’État social étant quasi-inexistant (Laurent, 2009, p.21).

 

L’argent, le luxe, la consommation matérielle, les libertés sexuelles, etc. sont autant d’indicateurs visibles de ce nouvel ordre auquel les jeunes gens (filles comme garçons) aspirent en toute autonomie. Mais, face aux difficultés d’y accéder, de nombreux jeunes n’hésitent pas à miser sur leur beauté, un atout essentiel autant pour les jeunes étudiantes de l’Université de Ouagadougou que pour les jeunes filles «GƐn»/Mina (un groupe hétérogène composé d’élèves et de filles non ou très peu instruites). Mazzocchetti (op. cit., p. 415) évoque, à juste titre que « la beauté et la jeunesse sont des critères périssables, les jeunes filles en profitent tant qu’elles le peuvent pour ″bien vivre″, s’amuser, posséder les objets de consommation, être branchées et à la mode mais aussi pour ouvrir des créneaux de réussite afin d’être prêtes quand leur jeunesse sera passée et leur beauté ″fanée″ ». 

 

S’il est vrai que « s’amuser et vivre branchées ou être à la mode » importent hautement aux jeunes filles «GƐn»/Mina (raison pour laquelle elles s’autonomisent précocement), le souci de la périssabilité de leur beauté ne constitue pas, cependant, une contrainte majeure au sein de la communauté «GƐn»/Mina : les regards sociaux sont, à cet effet, très cléments en comparaison à d’autres communautés et une femme «GƐn»/Mina, quel que soit son âge, trouve toujours une chaussure convenable à ses pieds si elle le désire car, à défaut d’une union durable, la pratique des « azianvi » (amants) est coutumière, à tout âge, au sein de la communauté «GƐn»/Mina.

Depuis que l’ordre ancien n’est plus rigide, la communauté «GƐn»/Mina est assez tolérante vis-à-vis des femmes en unions libres voire célibataires. Sans pousser l’ouverture sexuelle à l’extrême comme chez les Na (Laurent, 2010), c’est la nuit que toutes les cartes sexuelles se jouent. Les gens se côtoient en journée comme si de rien n’était, mais la nuit « tous les chats deviennent gris », jeunes filles et femmes matures célibataires se confondent dans la même moule du plaisir sexuel, peut-être pour des raisons de discrétion et d’éthique (vis-à-vis des jeunes enfants). Les «GƐn»/Mina jouissent d’une certaine ouverture en matière de plaisir sexuel et ils/elles ne s’en cachent pas : la sexualité n’est pas forcément pour la reproduction mais également pour le plaisir.

 

La seule contrainte que chaque femme «GƐn»/Mina s’impose cependant est de se « marier » à un moment donné de sa vie, mais, y rester durablement n’est pas une contrainte. À cet égard, l’union conjugale apparaît sous une double facette : a) la protection financière pour certaines femmes (ne jouissant pas d’une autonomie financière), cette philosophie n’est pas répandue, car, d’ordinaire la femme «GƐn»/Mina tient à son autonomie y compris financièrement ; b) pour un plus grand nombre de femmes, il est principalement question de la quête de la maternité pour leur dignité de femmes sans que cela soit une contrainte absolue ; quelques femmes choisissent d’ailleurs de vivre sans enfants sans que cela soit sujet à railleries comme on l’observe dans d’autres communautés. Rappelons au passage que l’unique femme qui était parmi nos ancêtres du nom de Ayélé-Adossi n’avait pas eu d’enfants biologiques (elle était cependant mère de nombreux enfants adoptifs). Elle était pourtant une figure emblématique, une femme qui avait fait fortune dans le commerce avec les Occidentaux et qui avait adopté de nombreuses personnes parmi ses esclaves.

 

Mazzocchetti (op. cit, p. 412) évoque également, à propos des étudiantes de l’Université de Ouagadougou, que : « […] le mariage restait pour elle[s] une obligation, […] les jeunes femmes scolarisées […] bénéficiaient d’une relative liberté par rapport aux règles d’alliances coutumières ainsi que de marges de manœuvres importantes dans le choix de leur conjoint […]. L’entourage maintient un œil critique et sévère sur ces jeunes femmes. Il classe les bonnes et les mauvaises épouses, les femmes respectables et les ″bordels″ […] ». Chez les «GƐn»/Mina également, la femme, qu’elle soit instruite ou non, jouit pleinement d’une liberté de choix de son conjoint aujourd'hui ; l’homme également l’est pour le choix de sa conjointe, sans qu’aucune autre considération ne guide un tel choix, si ce n’est les critères définis par chaque personne. A contrario, chez les «GƐn»/Mina, il ne pèse sur les jeunes filles ou femmes matures aucune contrainte absolue de mariage : mener une vie conjugale se fait par choix individuel ; aussi, la réussite ou l’échec de cette vie conjugale ne constitue-t-il, en aucun cas, un critère d’évaluation ou de classification des filles/femmes au sein de la communauté «GƐn»/Mina.

Les influences de la modernité sur l'organisation sexuelle chez les Guin et Mina, volet6

S’il y a un critère de respectabilité (communément répandu et partagé) au sein de la communauté «GƐn»/Mina, il est principalement lié à la réussite professionnelle (et surtout la richesse qui en découle) tant pour les filles/femmes que pour les garçons/hommes, et, secondairement à l’alliance lorsqu’une femme réussit à dénicher la perle rare : un mignon[2] et riche garçon qui lui fournit les éléments matériels d’aisance et de bonheur psychique ; sans toutefois que cela devienne une situation critique pour le plus grand nombre de femmes qui n’a pas eu une telle chance. Car, le mariage est aussi une affaire de chance, et la communauté «GƐn»/Mina l’a suffisamment intégré. Elle met, néanmoins, le prix d’or, jusqu’à aujourd’hui, dans le plus grand nombre de familles de classe moyenne et noble, pour que ses filles en soient à la hauteur.

 

La communauté «GƐn»/Mina pousse la « féminisation » de ses filles très loin, à l’extrême. Et c’est peut-être là aussi un grand obstacle à la durabilité des femmes «GƐn»/Mina dans les liens conjugaux car, elles sont généralement conscientes de leur désirabilité sur le marché de l’amour et elles vendent leur beauté et le désir qui l’accompagne très chers.

 

L’apparente liberté plus grande en matière d’union observée chez les «GƐn»/Mina (les filles notamment) par rapport aux cas observés par Jacinthe Mazzocchetti et Pierre-Joseph Laurent (référencés plus haut) chez les Mossis du Burkina Faso, s’expliquerait sans doute par le fait que les deux peuples n’ont pas connu la même trajectoire en matière de pénétration de cultures extérieures. En effet, si l’on s’en tient à la description ethnographique des deux anthropologues cités, les bouleversements dont ils ont été témoins auraient frappé de pleins fouets des localités et des villes du Burkina Faso au cours du dernier quart du XXe siècle. Une période qui correspond à l’essor des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui ont favorisé la dissémination de nouveaux schèmes, valeurs et normes dans les contrées même les plus reculées en Afrique.

 

Or, chez les «GƐn» et Mina, l’avènement des TIC pourrait être considéré juste comme une situation aggravante des effets de la porosité des frontières. En effet, le peuple «GƐn» et Mina, côtier, grand commerçant, pécheur, avait vécu la pénétration d’autres cultures, notamment le contact avec les Occidentaux, depuis plusieurs siècles avant l’avènement des TIC. Cela remonte au XVIIe siècle dès la création de cette communauté au Togo et au XIXe siècle, au Bénin. Les populations sur l’aire culturelle «GƐn»/Mina s’enorgueillissent d’avoir connu la civilisation des Occidentaux avant les autres peuples et partant de là, d’avoir hérité de leur style « direct » et flexible en matière de sexualité. Ce qu’elles ignorent est que l’apparent libertinage des Occidentaux, en matière de sexualité, tel qu’elles le conçoivent sur place là-bas n’est qu’une illusion. À cette époque-là (au XVIIe siècle), la plupart des sociétés occidentales vivait, sous l’effet de la christianisation, des limitations des libertés sexuelles. On peut, peut-être, faire l’hypothèse que c’étaient les missionnaires, les riches commerçants occidentaux, les historiens, les anthropologues, etc. et plus tard les colons qui se livraient à quelques gâteries avec les belles femmes autochtones en laissant croire que les « Blancs » ont un style « direct » et un accès facile au sexe.

 

Malheureusement, cette impression qu’ont les populations locales des libertés sexuelles en Occident s’est aggravée avec a) l’avènement des TIC : la diffusion des films dans lesquels les « Blancs » s’embrassent (voire font l’amour) à longueur de temps ; b) l’accès facile aux réseaux sociaux où, par un simple clic, les adolescents ont accès aux images pornographiques (dont les acteurs sont, dans la plupart des cas, les « Blancs »). L’indignation par rapport à cette accessibilité facile aux images à caractère sexuel est revenue à de nombreuses fois sur mon terrain. Je suis consciente que, même dans les sociétés occidentales d’aujourd’hui, une telle inquiétude des parents existe s’agissant d’accès facile aux images pornographiques par les adolescents et que, en principe, les sociétés occidentales devraient être distinguées des grosses firmes de production d’images et de films pornographiques à des fins utilitaristes (commerciales). Mais, il est très difficile d’expliquer une telle différence aux gens sur le terrain et surtout de leur faire changer d’avis par rapport à leur conception de la sexualité des Occidentaux.

 

Quoi qu’il en soit, au regard des informations recueillies auprès de tous les enquêtés sur la sexualité des «GƐn»/Mina d’aujourd’hui, et en prenant en compte les récits de vie de quelques femmes enquêtées qui sont, soit en union, soit divorcées, au moment de mon enquête, je puis dire que les femmes «GƐn»/Mina optent majoritairement aujourd’hui pour l’union libre (ou consensuelle) avec ou sans l’implication des parents. Ceci n’étonne pas, au regard des données résumées plus haut dans les tableaux n°5 & 6. La liberté de disposer de son corps et d’avoir du contrôle de sa vie se dessinait déjà tout doucement à la fin des années 1980 et cette tendance s’est renforcée de nos jours. C’est ce qu’illustre l’entretien avec cette jeune fille de 19 ans, future maman, puisqu’elle était enceinte de sept mois au moment de mon enquête en août 2018. Les échanges ont eu lieu en langue mina.

 

Moi : Bonjour dadavi [petite sœur]. Puis-je connaître ton nom ?

Elle : « Oui, on m’appelle Affi ».

Moi : Comment vas-tu ?

Elle : « Je vais bien ».

Moi : As-tu jamais entendu parler de moi ? [l'auteur de la grossesse est un cousin].

Elle : « Oui. Je sais que vous êtes la grande sœur de Ayao [mon cousin] qui vit en Europe ».

Moi : Très bien. Tu es enceinte de combien de mois ?

Elle : « Je suis dans mon septième mois de grossesse ».

Moi : Vas-tu régulièrement en consultation prénatale ?

Elle : « Euh… [Silence] [Je la motive à parler] Non, je n’y suis jamais allée [Moi : Pourquoi ?]. Ayao n’a pas encore assez d’argent ».

Moi : Ah d’accord. Et tu vis ici depuis combien de temps ?

Elle : « Je suis ici depuis cinq mois ».

Moi : Ayao connaît-il tes parents ?

Elle : « Euh… [Long silence donnant l’air d’une timidité] Non, il ne s’est pas encore rendu chez mes parents ».

Moi : Tes parents vivent où ?

Elle : « Ils résident de l’autre côté de la rive [un village voisin dans le Togo]. Mon père est déjà décédé, mais ma mère, mes sœurs et mes oncles y sont ».

Moi : Qui parmi ceux que tu as cités, certains connaissent-ils ici, là où tu vis ?

Elle : « Non. Personne ».

Moi : Ah bon. Savent-ils que tu es enceinte ?

Elle : « Non. Je ne l’ai dit à personne ».

Moi : Ah bon ? N’as-tu pas peur ? Et si quelque chose t’arrivait comment vous y prendrez-vous ?

Elle : « [Silence] ».

Moi : Que faisais-tu comme activité avant de rencontrer Ayao ?

Elle : « J’étais porteuse de bagages à Hila-Condji [la frontière Bénin-Togo] ».

Moi : As-tu été à l’école ?

Elle : « Oui. J’y suis allée jusqu’au CM2 [6e année de l’école primaire]. Quand mon père est décédé, ma maman n’a plus les moyens de nous y maintenir. Je sus l’aînée de la fratrie, alors j’ai quitté le village pour me rendre à Hila-Condji pour me faire un peu d’argent ».

Moi : Qu’envisages-tu pour ton avenir ?

Elle : « Euh… [Silence long, geste des épaules] Je ne sais pas ».

Comme on peut le constater, plusieurs évènements sociaux et concours de circonstances conduisent certains jeunes à pousser leur audace très loin en matière de libertés sexuelles suivies d’union libre. L’époux de cette jeune fille de 19 ans est âgé de 21 ans, encore apprenti (sans revenus consistant).

 

[1] L’auteure emprunte cette définition de Chauveau, Le Pape, Olivier de Sardan (2001, p.147).

[2] Mignon parce que les «GƐn»/Mina accordent une grande considération à l’esthétique, à la beauté physique et visuelle.

Bonne lecture, à vous, cher.es lecteurs/trices.

Bonne lecture, à vous, cher.es lecteurs/trices.

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