Le but de ce blog est de parler de la beauté, de la famille et de la sexualité en prenant appui sur la communauté Guin et Mina. La communauté Guin et Mina a une culture riche de plus de 3,5 siècles mais peu connue. Aujourd'hui, cette communauté n'est visualisée qu'à travers les pratiques sexuelles peu positives d'une minorité de femmes guinnou ou Mina. Ce blog revisite l'organisation sexuelle du peuple Guin et Mina à travers le temps (approche diachronique) afin d'en tirer des inspirations susceptibles de façonner notre mode de vie contemporain. Mot clés : #Beauté, #Sexualité, #Famille, #Guin, #Mina
17 Mai 2020
Dans cette partie nous menons la réflexion autour des unions autorisées et celles interdites.
L’endogamie et l’exogamie sont deux formes de régulation du système matrimonial. Il s'agit des principes régulateurs de la vie sexuelle des peuples lorsqu’il est temps de passer de la vie sexuelle libre (officielle ou discrète) à une union régulée. Ces principes régulateurs peuvent être d’application cumulativement dans une même société. Ainsi, Laurent (2010), dans son travail sur les Mossi du Burkina Faso, observe la cohabitation de l’endogamie religieuse avec les règles exogamiques qui régissent la société coutumière mossi. C’est aussi ce qu’évoque Firth (2016) dans son article « Ethnologie générale » [en ligne] ou encore Marquet (2016) dans son article « Clan » [en ligne]. Chez le peuple Guin et Mina, à une époque donnée de son histoire, l'endogamie primait sur l'exogamie.
Par les principes endogamiques, l'Ego [la personne concernée par l'union] est appelé à s’unir à une personne à l'intérieur de son clan, lignage, village, caste ou sous-caste, ou encore à l’intérieur de son groupe religieux. En Inde par exemple, chaque sous-caste tend à être endogame pour des raisons religieuses (Firth, 2016) à l'instar des groupes protestants ou les évangélistes au Burkina Faso (Laurent, 2010). Toutefois, observe Firth (2016), l’endogamie stricte est rare dans les sociétés primitives [ou traditionnelles aujourd'hui], par contre les règles fixant le choix de l'épouse sont extrêmement fréquentes.
La théorie de l’alliance, de quoi revêt-elle ? C'est à travers son ouvrage « Les Structures élémentaires de la parenté » que Claude Lévi-Strauss fonda, en 1949, la théorie de l'alliance (certes, d'autres précurseurs ont existé avant et après Lévi-Strauss).
En effet dans son ouvrage, Claude Lévi-Strauss (1949) dégage de l’analyse d’une multitude de systèmes de parenté une théorie générale des sociétés et met en place une interprétation structurale de la parenté fondée sur des lois universelles. La prohibition de l’inceste aura constitué l’essentielle de la trame de cette théorie générale.
Encadré n°23 : La prohibition de l’inceste
Extrait de « Les structures élémentaires de la parenté » (Lévi-Strauss, 1949, p. 14)
« La prohibition de l’inceste est entachée d’une ambigüité qui en traduit le caractère sacré. La prohibition de l’inceste est à la fois une règle sociale et une règle pré-sociale à un double titre : d’abord par son universalité, ensuite par le type de relations auxquelles elle impose sa norme. Or, la vie sexuelle est elle-même doublement extérieure au groupe. Elle exprime au plus haut point la nature animale de l’homme, et elle atteste au sein même de l’humanité, la survivance la plus caractéristique des instincts ; en second lieu, ses fins sont, doublement à nouveau, transcendantes : elles visent à satisfaire soit les désirs individuels dont on sait suffisamment qu’ils sont parmi les moins respectueux des conventions sociales, soit des tendances spécifiques qui dépassent également les fins propres de la société. Notons également que si la réglementation des rapports entre les sexes constitue un débordement de la culture au sein de la nature, d’une autre façon la vie sexuelle est, au sein de la nature, une amorce de la vie sociale : car, parmi tous les instincts, l’instinct sexuel est le seul qui, pour se définir, ait besoin de la stimulation d’autrui. Nous devrons revenir sur ce dernier point ; il ne fournit pas un passage, lui-même naturel, entre la nature et la culture, ce qui serait inconcevable, mais il explique une des raisons pour lesquelles c’est sur le terrain de la vie sexuelle, de préférence à tout autre, que le passage entre les deux ordres peut et doit nécessairement s’opérer. Règle qui étreint ce qui, dans la société, lui est le plus étranger, mais en même temps, règle sociale qui retient, dans la nature, ce qui est susceptible de la dépasser ; la prohibition de l’inceste est, à la fois, au seuil de la culture, dans la culture, et en un sens, la culture elle-même ».
Ainsi, pour Lévi-Strauss la prohibition de l’inceste « présente sans la moindre équivoque, et indissolublement réunis, les deux caractères où se reconnaissent les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs : elle constitue une règle, mais une règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d’universalité ». Et à l’auteur d’ajouter que « la prohibition de l’inceste en tant que règle n’a guère besoin d’être démontrée, car il suffira de rappeler que l’interdiction de mariage entre proches parents, peut avoir un champ d’application variable selon la façon dont chaque groupe définit ce qu’il entend par proche parent, mais que cette interdiction, sanctionnée par des pénalités sans doute variables, et pouvant aller de l’exécution immédiate des coupables à la réprobation diffuse, parfois seulement à la moquerie, est toujours présente dans n’importe quel groupe social » (Ibidem, p.10).
Coppet (2016) évoque que d’après cette énonciation de Lévi-Strauss, la prohibition de l'inceste « exprime le passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l'alliance » ; c'est-à-dire qu'elle « est moins une règle qui interdit d'épouser mère, sœur ou fille qu'une règle qui oblige à donner mère, sœur ou fille à autrui ». À ce titre, le mariage est d’emblée placé au centre des phénomènes de parenté, car il est un « archétype de l'échange ». C’est ce qui va soulever une énorme controverse dans le champ des études de la parenté.
Ainsi, pour Hua Cai (1997, 2008 cité par Laurent, 2010), la théorie de l’alliance de Claude Lévi-Strauss est impuissante à donner une explication au cas des Na. Rappelons que les Na sont une société matrilinéaire sans alliance, ni mari, ni père. L’homme appelé « arroseur » visite les femmes de nuits et ne doit pas se faire connaître. Ainsi, il n’est pas interdit qu’une femme soit arrosée par un homme censé être son géniteur.
À cet égard, Cai (2008) estime que l’erreur des théories de la parenté consiste à ne pas avoir compris que la consanguinité biologique est un « pseudo-objet » scientifique à partir du moment où le cas des Na prouve que seule existe une théorie culturelle de la consanguinité propre à chaque peuple. L’auteur soutient que l’inexistence de l’interdit sexuel entre une femme et l’arroseur de sa mère (donc son géniteur potentiel) permet de distinguer définitivement le principe d’exclusion sexuelle entre consanguins sociaux de la règle de l’interdit sexuel au sein d’une autre catégorie d’individu (l’interdiction de l’adultère) exigé par l’institution du mariage (Laurent, 2010). La solution proposée par Cai (2008) face à l’énigme du choix du partenaire sexuel est de considérer que « la croyance forge l’identité culturelle et régit le comportement […]. Les comportements humains ne sont ni conditionnés par les mécanismes biologiques, ni déterminés par la psyché individuelle, mais exclusivement par l’institution de la sanguinité culturelle » (Cai, 2008 : 180, cité par Laurent, 2010).
Cependant pour Godelier (2004), le cas des Na ne fait pas pour autant exception à l’hypothèse de Claude Lévi-Strauss. Car en interdisant à des frères et sœurs de s’unir, comme c’est le cas chez les Na aussi, on contraint les sociétés à l’échange. C’est donc bien par l’échange que les groupes qui s’interdisent de pratiquer l’inceste peuvent se reproduire.
Néanmoins, autant Godelier (2004, 2010) que Laurent (2010) vont trouver des limites évidentes à la théorie générale de Claude Lévi-Strauss. Ainsi, ces deux auteurs qui se rallient, de par leur argumentation, à la thèse de Charles Darwin, énoncent que l’espèce humaine étant une espèce sociale parmi d’autres, ne peut s’être donnée à elle-même la société et l’alliance qui ne peut se situer au fondement de celle-ci. Pour Laurent (2010), ces nouveaux développements de la connaissance déchargent, pour ainsi dire, l’alliance du poids du fondement de la société humaine. Les controverses vont d’ailleurs conduire plus tard Claude Lévi-Strauss à proposer une nouvelle formulation de sa théorie dans son ouvrage « La Pensée sauvage » et explique désormais l’échange des femmes par « le système de la diversité hybride » (Laurent 2010).
Quoi qu’il en soit, souligne Coppet (op. cit.), toutes les sociétés définissent solidairement des règles de consanguinité et d'affinité. Toutefois, alors que certaines sociétés, comme les sociétés occidentales, se contentent de règles négatives de l’interdiction de l’inceste, d’autres sociétés, au contraire, comme dans les sociétés primitives, établissent, en plus des interdits de l'inceste, des règles positives permettant de choisir un conjoint. Le mariage des cousins croisés, de par ses formes et ses propriétés, est l'institution la plus remarquable de ces derniers systèmes de parenté, car elle exprime de façon complète et condensée à la fois la prohibition de l'inceste et la relation complémentaire entre consanguinité et affinité.
Somme toute, au nom de ce double principe de prohibition couplée de prescription de partenaires, dans un système de parenté patrilinéaire, par exemple, les frères-sœurs, les cousins parallèles (c’est-à-dire les enfants du frère de son père et les enfants de la sœur de sa mère) sont frappés d’interdiction de mariage par Ego (l’homme désireux de prendre une épouse) ; par contre, les cousins croisés (c’est-à-dire les enfants de la sœur de son père, et les enfants du frère de sa mère) sont les plus proches collatéraux avec qui Ego peut se marier (voir schéma ci-dessus). Cette règle s’applique dans la majorité des sociétés. Ce cercle d’interdiction peut être élargi dans certaines sociétés à d’autres liens de parenté selon des particularités culturelles. Ainsi, on parlera d’inceste lorsqu’une personne passe outre les règles d’interdiction pour se marier dans le cercle des membres frappés de prohibition d’alliance.