Le but de ce blog est de parler de la beauté, de la famille et de la sexualité en prenant appui sur la communauté Guin et Mina. La communauté Guin et Mina a une culture riche de plus de 3,5 siècles mais peu connue. Aujourd'hui, cette communauté n'est visualisée qu'à travers les pratiques sexuelles peu positives d'une minorité de femmes guinnou ou Mina. Ce blog revisite l'organisation sexuelle du peuple Guin et Mina à travers le temps (approche diachronique) afin d'en tirer des inspirations susceptibles de façonner notre mode de vie contemporain. Mot clés : #Beauté, #Sexualité, #Famille, #Guin, #Mina
27 Mai 2020
Dans toutes les sociétés connues [pour emprunter les termes de Cuisenier], l’inceste est classé parmi les plus immorales des pratiques (Durkheim, 1896-1897, p. 5) et fait l’objet de prohibition hormis les cas d’exception évoqués plus haut. La transgression de cette règle est [ou du moins, était] sévèrement châtiée (Cuisenier, 2016 ; Durkheim, 1896-1897). La phobie de l’inceste (Freud, 1912, p.19) ou l’horreur du crime de l’inceste (Parat, 2004) dénote à la fois la crainte et l’aversion à cet acte. Cependant, et même autrefois, le « crime de l’inceste » était sanctionné différemment selon les sociétés ; les sanctions allant de la peine de mort à une simple moquerie ou une simple gêne [morale].
Dans la littérature, la peine de mort se rattachait davantage à certains récits de la mythologie grecque, aux peuples antiques, aux sociétés traditionnelles et surtout aux sociétés totémiques. Ainsi, par exemple dans « l’Euripide, Canacé, une des filles d’Eole, amante de son frère, était sonnée par son père de se suicider » (Parat, 2004). Chez des peuples "avancés", en Judée, à Rome, la prohibition de l'inceste était absolue et sans réserve et tout acte d'inceste était le plus violemment réprouvé (Durkheim, 1896-1897, p.7). En Australie comme en Amérique, les coupables d’actes d’inceste étaient simplement mis à mort (Ibidem). Chez les Ta-ta-hi (Nouvelles-Galles du Sud) l'homme était tué mais la femme était battue ou blessée d'un coup de lance (Ibidem). Chez les tribus de Victoria, la moindre galanterie entre gens du même clan était l'objet de mesures répressives : la femme était battue par ses proches, et l'homme, déféré au chef, était sévèrement réprimandé. S'il s'obstine et s'enfuit avec celle qu'il aime, il était scalpé (Ibidem). Chez les peuples de l’Archipel des Trobobar, les gens reconnus coupables d’inceste étaient également sévèrement châtiés : on leur fait écraser la tête sous les pattes d’éléphant (Alain Testart, [non daté]? p. 1)[1]. Dans la société traditionnelle de Magne, la fille qui n’était pas vierge lors de son mariage est censée « l’avoir fait » avec son frère et elle pourrait être mise à mort par ses proches (Zonabend, 1997, p. 252). En France, jusqu’au XVIe- début XVIIe siècle, les protagonistes d’un inceste pouvaient être pendus sans discrimination, mais déjà à la fin du XVIIe siècle une évolution se dessina : le parent et son descendant n’étaient plus condamnés de la même façon (Parat, 2004). Enfin, dans l’un des deux cas d’inceste évoqués dans l'article précédent, on pouvait aussi relever l’indignation des populations au sujet de « la Zimbabwéenne enceinte de son fils » et la sanction que ces coupables auraient pu subir jadis. Ainsi, pouvait-on lire « […]. Dans le passé, ils devaient être tués, mais aujourd’hui nous ne pouvons pas le faire, parce que nous avons peur de la police ». Néanmoins, le couple a été banni du village (afrik.com, consulté le 1er novembre 2015).
Lorsque la sanction des coupables d’inceste échappe aux humains, ce sont les dieux qui s’en occupent. Dans les sociétés totémiques par exemple, il y a une croyance générale et indiscutée selon laquelle les coupables d’inceste sont punis naturellement, c'est-à-dire par les dieux (Durkheim, 1896-1897, p. 7-8). Ainsi, chez les Navajos (peuples amérindiens d'Amérique du Nord), par exemple, on dit que leurs os se dessèchent et qu'ils sont voués à une mort prochaine et certaine. Pour ces peuples, une telle menace n'est pas un vain mot ; elle équivaut à une condamnation dont les effets sont plus infaillibles que si elle avait été prononcée par des humains (Ibidem). C’est sans doute dans ce sens qu’abondent les analyses de Françoise Héritier (1994) et Magarita Xanthakou (1999) concernant la société traditionnelle grecque. L’une évoque ce récit lié à l’inceste du deuxième type : « […] Quand mon mari vivait encore, ma sœur était déjà très malade. Un jour, mon beau-frère [le mari de sa sœur] m'a fait des avances et je suis devenue sa maîtresse. Ma sœur le savait, elle me l'a dit et elle a très bien pris la chose. Au bout de deux ans, elle est morte et ma liaison avec son mari a continué. Cinq ans après, mon propre mari est mort. Mon beau-frère et moi sommes restés amants. […]. Au village, il y a des gens qui […] disent que mon beau-frère nous a "souillées", et que c'est sans doute pour ça que ma sœur et mon mari sont morts. […] » (Xanthakou, 1999, p.137). L’autre évoque un autre cas d’inceste du deuxième type avec des conséquences d’un autre ordre : « Dans un autre village, deux frères se sont partagé une femme, l'épouse de l'aîné étant devenue la maîtresse du cadet. Quand je fais leur connaissance, les deux filles de cette femme sont encore célibataires, la trentaine passée, et elles le resteront - dit-on -, en conséquence du péché de leurs parents. Ce péché, affirment les vieux villageois, c'est beaucoup moins l'adultère que la transgression des deux frères, qui sont qualifiés de émomikhtès, c'est-à-dire incestueux, ou au sens littéral, coupables de la « réunion [d'un même] sang » (Héritier, 1994). D'après ces croyances, souligne Durkheim (1896-1897, p. 8), les puissances redoutables qui peuplent le monde réagissent contre tout ce qui les offense avec une nécessité automatique, tout comme font les forces physiques. Dans ce cas, un acte d’inceste, qu’il soit du premier ou du deuxième type, ne peut donc rester impuni.
Relevons néanmoins que bien des fois et dans bien des sociétés, les sanctions réprimant les actes d’inceste sont davantage d’ordre moral et psychologique (la honte, la peur des regards sociaux, la nécessité de se cacher, les traumatismes et les difficultés de se reconstruire, etc.).
En Afrique, la plupart de nos sociétés sont totémiques. Les actes d'inceste étaient et continuent d'être soumis à la répression des humains et des dieux. Au cours de mon enquête sur l'aire culturelle Guin et Mina, j'ai ouï dire que des pères indélicats, coupables d'actes d'inceste, ont toujours existé (même aujourd'hui encore). Lorsque les actes de ce genre sont sus, autrefois, les coupables étaient conduits chez le Roi des Guin. Ils étaient ligotés et frappés puis des rituels étaient faits pour demander la clémence des dieux. Aujourd'hui, c'est davantage la honte conséquence des railleries sociales, des critiques, des regards sociaux négatifs qui font fuir les coupables de leur village. Un aîné de 90 ans raconte :
« Un cas [d'inceste] s'est produit récemment pas à Agoué mais à Klouvidonnou. Le père "a fait" la fille jusqu'à l'a mise enceinte. Généralement, on observe ces situations, lorsque la maman divorce et abandonne les enfants à leur papa et, au fil des jours, en grandissant, les enfants filles attirent leur père. Mais, le cas de Klouvidonnou est différent : la maman était bien là et pourtant le papa "le faisait" à la fille au vu et au su de la maman. Lorsque la maman a voulu réagir, le monsieur l'a chassée et s'est mis à faire des enfants avec sa propre fille. [Moi : Quels étaient le regard et la réaction des gens dans le village et dans les deux familles ?] Oh mais! le monsieur s'en fout, indifférent à tout. Il est même violent à l'égard de quiconque aborde ce sujet. Il les envoie se fait foutre. "Oha la glouin ah?" [Peux-tu en parler?]. Mais, prise de honte, la fille a fini par quitter le village pour aller s'installer à Lomé. [Moi : Pourquoi à Lomé ?] Oh mais ! Par honte, elle ne peut plus vivre dans ce village-là. Même si elle quitte son papa, connaissant son histoire incestueuse, plus personne ne voudra la prendre pour épouse dans ce village-là [...]».
Une autre aînée de 80 ans nous explique la répression de l'inceste par les dieux autrefois : il y a ce qu'on appelait "alopli" [traduit peut-être par "la réunion des mains" ; c'est le terme utilisé pour désigner l'inceste du deuxième type, c'est-à-dire lorsque deux frères se partagent une même femme, épouse de l'un et amante de l'autre. Un cas similaire à ce que Françoise Héritier a décrit ci-dessus]. Généralement, lorsque l'un des deux frères est malade et que l'autre frère lui rend visite, celui qui est malade se met à gonfler jusqu'à ce que la mort survienne, si les deux fautifs (l'épouse et le frère amant) ne passent pas aux aveux et que les rituels ne sont pas faits pour calmer la colère des dieux. Aujourd'hui, ces sanctions s'observent de moins en moins, ajoute-t-elle.
L’inceste se situe à la lisière de la forte tentation de relations érotiques [entre proches] et celle des traumas qui y sont immédiatement associés. Ainsi, dans l’ouvrage de Parat (2004, chap. 1), on pouvait lire ces témoignages si forts : « Je me sentais empoisonnée par cette union. Je n’étais pas libre de jouir de sa splendeur magnifique [parlant de sa relation incestueuse avec son père en tant qu’adulte consentante]... Quand j’ai vu mon père s’éloigner à la gare, je me suis sentie à la fois misérable et glacée. Je restai assise, inerte, obsédée par mes souvenirs…. Trouble, nervosité, chaos. Je quitte un homme que j’ai peur d’aimer, un amour anti-naturel […] » (témoignage de l’écrivain Anaïs Nin, rapporté par Parat, 2004). Une autre femme écrivain, Christine Angot, associe sa relation homosexuelle passionnelle et destructrice à l’inceste qu’elle a vécu adolescente avec un père séducteur (Ibidem). C’est enfin sur ce registre qu’on pourra aussi inscrire la réaction suivante du psychologue Michael Wunder (directeur du groupe de travail sur l’inceste au sein du Conseil d’éthique allemand) au sujet du couple incestueux de Leipzig (évoqué plus haut) : « Justifier l’interdiction d’une relation sexuelle par les risques génétiques signifie un retour à l’eugénisme [..]. La menace de peines qui pèse sur ces personnes, la nécessité de se cacher, sont une atteinte réelle à la liberté sexuelle » (Nathalie Versieux, 2014). C’est en fait, au nom de cette liberté sexuelle que dans maints pays modernes, les règles juridiques prohibitives de l’inceste se sont progressivement érodées (à suivre).
[1] www.alaintestart.com/doc_inedits/prohib_inceste.pdf consulté le 15 octobre 2015